Les anti carrière de Lahontan remportent une bataille

Par ELISA ARTIGUE-CAZCARRA

15 février 2011

 

La cour administrative de Bordeaux vient d'annuler le permis d'exploitation d'une gravière de 140 ha à cheval sur Lahontan (64) et Saint-Cricq-du-Gave (40). Une première victoire pour l'Association de défense du Pays d'Abet qui se bat contre le mitage du secteur. Malgré cette décision de justice, la gravière fonctionne toujours. Et cela ne semble pas près de changer.

 

carrière Lahontan La carrière continue à fonctionner. Chaque année, 500 000 tonnes de graviers y sont extraits et servent par la suite aux enrobés des routes. photos Tthierry Suire

Lorsque vous arrivez à Lahontan, village du nord-ouest Béarn frontalier avec les Landes, le trésor de cette commune qui suscite tant de convoitises de la part des carriers mais pourrit la vie de ses 520 habitants ne vous saute pas aux yeux. Pour cause, il s'agit de son sous-sol. « Nous sommes assis sur des cailloux », résume le maire, Christian Chauveau. Un tapis rocheux remarquable surexploité depuis près de trente ans. Entre 1985 et nos jours, pas moins de neuf gravières ont été installées sur un triangle qui couvre Lahontan et ses voisines landaises Saint-Cricq-du-Gave et Labatut, et un dixième projet est en cours. Rien que sur la commune béarnaise, le total s'élève à 110 hectares de trous, soit près de 10 % de la superficie du village. Un sacré gruyère.

Aujourd'hui, une seule carrière à ciel ouvert de sable et graviers est en activité. À cheval sur Lahontan et Saint-Cricq, elle a été autorisée par un arrêté interpréfectoral des deux départements en date du 22 mai 2007 pour une durée d'exploitation de trente ans. Gérée par la société Cemex Granulats Sud-Ouest, filiale de la multinationale Cemex - l'un des dix principaux cimentiers au monde -, elle s'étend sur 140 hectares et alimente l'usine de transformation de Labatut, via des bandes transporteuses de matière première. Ces sortes de tapis roulants traversent les terrains du château de Saint-Cricq, enjambent un lac artificiel créé par une ancienne gravière - ils pullulent dans le coin, les eaux souterraines qui alimentent le gave de Pau remontant à la surface une fois les gisements épuisés - puis, franchissent la rivière pour finir leur course côté landais. Une tache dans le paysage qui vient de conduire la cour administrative d'appel de Bordeaux à annuler l'arrêté d'autorisation d'exploitation.

300 HA CREUSES

LE TRIANGLE Lahontan, Labatut, Saint-Cricq-du-Gave vit au rythme des gravières depuis 1960, date de l'entrée en fonctionnement d'une première installation au niveau du lit du gave.

En 1985, une directive nationale interdit l'exploitation directe des lits de rivière suite à un combat de plusieurs associations environnementales. Ce qui est loin de signifier la fin des gravières dans le secteur béarno-landais qui vont prendre de l'ampleur entre 1985 et 2003.

Juste avant les deux derniers projets en cours, on dénombre ainsi 131 hectares de surface consacrés à cette activité. Si l'on y ajoute les installations de la Cemex, et celle de GSM, prévue pour démarrer avant la fin de l'année, ce chiffre passe à 301 hectares de trous, dont 122 sur la commune de Labatut, 69 sur celle de Saint-Cricq-du-Gave et 110 sur celle de Lahontan.

Impact sur l'environnement

Motif : l'étude d'impact sur l'environnement de ces bandes transporteuses est insuffisante et irrégulière. Elle « se borne à souligner que [ces équipements] permettront de remédier aux nuisances que cause le transport routier et à fournir quelques indications lacunaires et éparses quant à leurs effets sur l'environnement », indiquent les juges administratifs dans leur arrêt du 23 décembre. Or, « l'endroit où le gave est franchi est compris dans une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) », rappellent les magistrats. Conclusion : le permis d'exploitation « est entaché d'illégalité ».

Une décision accueillie avec soulagement par les militants de l'Association de défense et de valorisation du Pays d'Abet (Assodef), des Lahontanais en majorité mais aussi des habitants de Saint-Cricq-du-Gave, Labatut, Bellocq, etc., qui ont saisi la justice. « Pour nous, c'est une grande victoire obtenue malgré le peu de moyens dont nous disposons et les importantes pressions que nous subissons », réagit le président, Christian Lasserre.

Ce mouvement de protestation a vu le jour en 2006, sous l'impulsion de nouveaux arrivants venus s'établir dans des lotissements construits sur ces villages paysans longés par l'A 64. « Ils ont mis le feu aux poudres et se sont mobilisés dans le but que le secteur ne devienne pas un immense trou rempli d'eau. Car c'est bien ce qui nous menace », explique Christian Lasserre. La faute, selon lui, à « trente ans de nonchalances sur le sujet ». Et aux propositions alléchantes des carriers, auxquelles il n'est pas toujours facile de résister dans une bourgade où le revenu net par ménage oscille autour de 1 800 euros mensuels (1). « Vendre une terre agricole pour qu'elle reste en culture rapporte moins d'un euro le mètre carré. Cela passe à 5 euros/m² pour une activité de gravière », indique le président de l'Assodef.

« Villages sacrifiés »

Résultat, beaucoup d'agriculteurs ont succombé à l'appel des sirènes et les tractopelles ont gagné du terrain sur les champs, les vergers de kiwi notamment. « La terre, nous l'avons reçu de nos parents pour l'exploiter, pas pour la détruire. Notre devoir est de la transmettre à nos enfants ou à ceux qui veulent la travailler », confie un paysan du cru dont les paroles servaient de slogan lors des manifestations de l'Assodef, en 2007. « Depuis le début de notre combat, l'argument qui nous est rétorqué pour nous faire taire est celui de l'utilité publique. Le couplet est toujours le même : « On a besoin du gravier pour construire de nouvelles infrastructures qui vont développer le territoire. Alors pourquoi vous y opposez-vous ? ». Mais le refrain oublie de dire que des villages sont sacrifiés sur cet autel », renchérit Christian Lasserre.

Désormais, ces petites communes se rebiffent. En témoigne l'élection aux dernières municipales de Lahontan de Christian Chauveau. Ex-directeur de société dans la Sarthe devenu un agriculteur « très attaché à la richesse de la terre », le nouveau maire n'a jamais caché son opposition aux gravières. « Le problème de fond, c'est la façon dont les choses ont été faites, sans aucune réflexion sur l'aménagement du territoire », analyse-t-il. « Or, si nous avions eu un plan d'occupation des sols (l'ancêtre du plan local d'urbanisme, NDLR) nous n'en serions pas là. Le village serait sans doute moins mité car nous aurions gardé la maîtrise de notre territoire et pu définir son utilisation. Là, tout nous a été imposé », poursuit-il.

La commune contre-attaque

C'est ainsi que l'ancien maire, qui en a payé le prix politique par la suite, avait pu passer outre les votes défavorables de son Conseil municipal pour l'implantation de deux nouvelles gravières, celle de la Cemex et une autre, de 28 hectares, qui n'est pas encore en activité. Elle doit entrer en fonctionnement d'ici à la fin de l'année, GSM, la société exploitante, ayant obtenu le feu vert de la préfecture des Pyrénées-Atlantiques par un arrêté du 13 novembre 2008.

Une autorisation contre laquelle la nouvelle municipalité se bat. Saisi par ses soins, le tribunal administratif de Pau l'a pourtant déboutée, fin décembre. Loin de s'avouer vaincu, le Conseil municipal de Lahontan réuni en début de semaine dernière s'est prononcé pour faire appel de ce jugement devant la cour administrative de Bordeaux. De sa position dépendront les contours du premier PLU en gestation de la commune. Le village est décidé à reprendre la main sur son devenir.

 

(1) Source Salairemoyen.com. Le site compare Lahontan avec les dix communes voisines et la place à la neuvième position, loin derrière la première, Ramous, où le revenu moyen par ménage est de 2 350 euros.

 

 

Mais sont loin d'avoir gagné la guerre

Pas de changement sous le soleil. Depuis l'arrêt du 23 décembre de la cour administrative d'appel de Bordeaux, les habitants de Lahontan et Saint-Cricq-du-Gave n'ont observé aucune évolution sur le fonctionnement de la carrière de 140 hectares qui ne dispose pourtant plus d'autorisation d'exploitation. Un tour sur place le confirme : les tractopelles n'ont pas bougé d'un centimètre et s'y activent toujours autant qu'avant. « Il n'a jamais été question de stopper l'activité », expose le directeur des services environnement et foncier de Cemex Granulats Sud-Ouest, Vincent Raynaud. Lequel d'annoncer que la société a décidé de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour administrative et compte déposer « dans les plus brefs délais un nouveau dossier complet de demande d'exploitation » auprès des préfectures des Pyrénées-Atlantiques et des Landes. « Aujourd'hui, nous pensons à nos douze salariés et aux 80 emplois indirects qui dépendent de la carrière et du site de Labatut. Mais aussi à nos clients qui ont des besoins quotidiens en graviers », insiste le représentant du cimentier.

Par an, 500 000 tonnes de graviers sont extraites dans cette carrière puis transformés à l'usine de Labatut. Trois quarts de la production sont achetés par des centrales d'enrobage pour la construction des routes.

Nouvelle autorisation ?

Du côté de la préfecture des Landes, vers qui renvoie celle des Pyrénées-Atlantiques, cette poursuite d'activité est également jugée « normale ». « La cour n'a pas ordonné de suspendre l'exploitation », souligne le directeur de cabinet du préfet Philippe Nucho. « Suite à cette décision de justice, une étude a été réalisée courant janvier par l'inspection des installations classées de la Dreal (1) sur les bandes transporteuses. Elle a conclu à leur absence d'impact sur l'environnement », ajoute-t-il. Conséquence : « en tenant compte des préconisations de la cour administrative, nous allons proposer à la signature des deux préfets un nouvel arrêté d'autorisation d'exploitation dans les prochaines semaines », conclut Philippe Nucho.

Ce qui fait bondir les militants de l'Assodef qui s'apprêtent à déposer une plainte. « La poursuite de l'activité est illégale puisqu'il n'y a plus de permis d'exploitation. À croire que tant la préfecture que la Cemex pensent être au-dessus des décisions de justice », dénonce Christian Lasserre. À suivre.

E.A.-C.

 

(1) Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.

 

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